Lou n’aimait pas les hôpitaux. Tout était trop aseptisé, trop blanc. Trop… impersonnel et froid. Ça n’avait aucune âme et ça sentait la mort à plein nez. Non, elle n’aimait pas cet endroit. Pourtant, elle y avait passé des mois entiers sans le savoir. Inconsciente, allongée dans ce lit si peu confortable des mois durant. Rien que d’y penser, elle en avait des frissons dans le dos. Elle avait perdu plusieurs mois de sa vie dans ce foutu hôpital. Lou ne se souvenait de pas grand-chose. Ce sont les médecins qui lui avaient expliqué dans un premier temps comment elle avait atterri à l’hôpital. Elle était totalement perdue et désorientée lorsqu’elle avait rouvert les yeux la première fois. Elle avait de vagues images de son accident mais c’était très flou et sans ordre chronologique. Le pire dans tout ça n’était peut-être pas l’accident en soi. Certes, elle avait passé plusieurs mois dans le coma, mais elle n’aurait pas de séquelles à long terme. Le pire était sûrement l’amnésie. Vous savez ce que ça fait de regarder une personne qui vous est inconnue alors qu’elle vous dit être votre mère ? Lou a détesté ce moment. Elle a essayé de fouiller dans sa mémoire, de se concentrer, mais rien ne venait. Pour elle, c’était une simple inconnue d’une cinquantaine d’années qu’elle avait face à elle. C’était désemparant et surtout très frustrant. Elle a très mal vécu la situation les premières semaines. Lou avait l’impression d’être comme un nouveau né qui découvrait le monde. Elle ne reconnaissait rien, ni la ville ni les gens. Son entourage en savait plus sur elle qu’elle-même. Elle apprit aussi qu’elle avait un demi-frère, Yago. Lou n’avait pas la moindre idée des relations qu’elle entretenait avec sa mère, son père, son frère, elle n’avait pas la moindre idée de qui était ses amis. Elle aurait pu débarquer au fin fond de l’Alaska, ça lui aurait fait le même effet. Elle avait l’impression d’avoir été balancée toute seule dans un nouveau monde et n’avoir personne pour l’aider. Enfin personne, ce n’était pas vrai. Elle avait sa mère et Yago, mais comment savoir que ce qu’ils disent est vrai ? Et toutes ses personnes qui se disent ses amis, comment savoir s’ils ne lui mentent pas tout simplement ? Lou avait passé des heures à fouiller dans ses affaires, tentant désespérément d’avoir des souvenirs. Mais zéro. Les médecins l’ont prévenue : elle peut retrouver la mémoire comme elle ne peut jamais la retrouver. Elle avait perdu 20 ans de sa vie en un claquement de doigt et ça lui faisait froid dans le dos.

La belle avait fait subir pratiquement un interrogatoire à sa mère pour avoir le plus possible d’information sur sa vie. Lou voulait retrouver sa vie d’avant, ne pas perdre tant d’années et en même temps, elle voyait de plus en plus tout cela comme une chance. Qui ne rêve pas d’un nouveau départ, de repartir à zéro ? Ça lui avait aussi ouvert les yeux : la vie est courte, autant en profiter. Lou n’avait pas envie de se prendre la tête. Elle ne veut pas perdre son temps en futilité, en prise de tête, en engueulade. Non, Lou veut profiter de sa jeunesse, s’amuser. Elle a redécouvert qu’elle adorait l’art et elle laisse libre court à l’expression de son talent. Peut-être un peu trop au goût de certains. Elle ne compte plus le nombre de fois qu’elle a fini en garde à vue pour avoir tagué des murs en ville. C’est de l’art pour elle, mais ils ne semblent pas le comprendre. Ce n’était pas comme si elle écrivait n’importe quoi, elle était plutôt du genre à faire des portraits, des paysages, des vues sur les gratte-ciels, tout ce qui lui passe par la tête. Ça embellit un simple mur gris et déprimant non ? De toute façon, sa mère ou Yago venaient toujours payer sa caution. Artistes, c’est de famille et sa mère comprenait parfaitement. Bon, quand elle venait la chercher pour état d’ébriété sur la voie publique, elle était moins compréhensive. Mais Lou s’en fichait pas mal. Elle préfère prendre à légère ce genre de remarque et profiter du temps qu’elle.

Parce que du temps, elle en a. D’après ce qu’on lui a dit, elle suivait des cours en art appliqué à l’université de Phoenix avant son accident. Elle était justement partie en vacances quelques jours avec les amis de sa promotion, à San Francisco. L’accident a eu lieu en rentrant du restaurant pour le dernier jour avant le retour à la réalité. Dur retour à la réalité en effet. Vous imaginez la peur bleue qu’elle a faite à sa mère qui l’a élevée depuis presque toujours. Son premier enfant Yago est parti vivre en France avec son père et n’était là que les vacances, alors Lou était traitée presque comme une princesse. Elle n’était pas non plus pourrie gâtée, ce n’était pas le genre de sa mère. Mais comme ses parents s’étaient séparés alors qu’elle n’avait que 4/5 ans, elles avaient été que toutes les deux presque depuis le début. Son père était reparti vivre en Italie quelques années plus tard mais elle gardait quelques contacts via internet. Anniversaire ou Noël par exemple, elle avait passé quelques vacances chez lui. Il était présent dans sa vie sans qu’ils ne soient proches. Enfin, c’est ce que sa mère lui a dit puisque Lou ne se souvient de rien.

L’une des rares choses que l’amnésie n’avait pas pu effacer, c’était son penchant pour l’art. Ça devait être de famille. Sa mère était toujours en train de peindre quelque chose et Lou suppose que ça a été comme ça toute son enfance. Elle a transmis ça à ses enfants. Lou adore dessiner, peindre, taguer, gribouiller. Elle a souvent des crayons ou des bombes pour taguer sur elle, de la peinture sur les mains. Yago aussi semblait bien aimer le dessin et la peinture, mais son dada restait la photographie. Il en avait même fait son métier. Lou devrait lui demander de la laisser l’accompagner sur un shooting une fois, elle serait curieuse de voir à quoi ça ressemblait. Et puis comme elle n’avait pas repris la fac, Lou avait du temps pour elle. Elle aimait cette liberté, pouvoir se lever à l’heure qu’elle voulait, décider au jour le jour ce qu’elle ferait. La jeune américano-italienne n’aime pas les contraintes. Du moins, elle n’aime pas ça aujourd’hui. Lou a dû mal à se rendre compte du genre de personne qu’elle était avant son accident. Avait-elle changé ? Aimait-elle telle ou telle chose avant ? Etait-elle totalement à l’opposé de ce qu’elle est aujourd’hui ? C’était perturbant de ne pas savoir quelle était son identité, sa personnalité. Dernièrement, Lou était irritable quand on faisait référence à ce qu’elle avait fait, avait dit, aurait fait. Elle ne s’en souvient pas, alors elle voulait aller de l’avant. Elle était ce qu’elle était maintenant et si la Lou actuelle ne plaisait pas à ceux qui connaissaient l’ancienne Lou, ils pouvaient toujours aller se faire voir.

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