Le petit Nathan poussa son premier cri quelques jours à peine après le nouvel an de 1991. Le douze janvier exactement. Le travail fut difficile pour la jeune maman, d’autant plus qu’il n’y avait pas un, mais deux bébés. Nathan et Billie virent le jour à quelques minutes d’intervalle. Ce fut le premier et dernier moment qu’ils passèrent ensemble avant un bon bout de temps. Parce que le petit Nate ne pourra pas grandir et s’épanouir avec sa sœur jumelle et sa mère. Cette dernière ne pouvait pas s’occuper de deux bébés, alors le petit garçon fut adopté par un couple qui ne pouvait pas concevoir d’enfant. Une bonne chose pour tout le monde, sur le papier. Son enfance se déroula sans encombre cependant. Il ne manqua de rien, sans en avoir trop pour autant. Il avait suffisamment à manger ainsi que des cadeaux à chaque Noël et anniversaire. Il n’était pas le meilleur élève à l’école mais il ne faisait pas partie des cancres non plus. A la maison, il avait un peu de mal à tenir en place. Quand on lui mettait un dessin animé à la télé, il ne s’y intéressait pas plus de quinze minutes. Jouer tout seul aux petites voitures allait bien cinq minutes. Il fallait toujours qu’il soit occupé. C’était parfois difficile à gérer pour ses parents qui finissaient très souvent exténués à la fin de la journée. De nombreuses fois il avait réclamé un petit frère ou une petite sœur pour jouer avec lui, malheureusement, son vœu ne fut jamais exaucé.
L’adolescence en revanche fut une période bien plus compliquée. Ses parents avaient un mal fou à communiquer. Tout devenait prétexte à s’engueuler. La vaisselle qui trainait dans l’évier, les chaussures non rangées dans l’entrée, le son de la télé trop fort, le linge sale à côté du panier à linge. Bref, ça devenait invivable, la communication était rompue et personne ne savait plus parler sans hausser le ton. La situation dégénéra davantage lorsque son père commença à rentrer de plus en plus tard et surtout de plus en plus ivre à la maison. A partir de ce moment, ce fut l’apothéose. Avait-il une maîtresse ? Cette question fut dans tous les esprits. Nathan ne comprenait pas ce qu’il lui prenait mais plutôt que de subir les hurlements et les engueulades incessantes de ses parents, il passait le maximum de temps à l’extérieur. Chez des amis notamment. Il sortait aussi pour se changer les idées et s’aérer l’esprit. Tout était bon à prendre pour quitter cet enfer familial. Dès qu’il y avait une fête, il était de la partie. C’est d’ailleurs à cette période qu’il a commencé à s’intéresser aux filles. Il était plutôt mignon et il ne terminait jamais une soirée sans fille à son bras. Il a d’ailleurs perdu sa virginité à 14 ans, dans l’une des fêtes du quartier. Cette fille, il ne la connaissait pas plus que ça, il la voyait de temps en temps à l’école mais il n’avait jamais vraiment pris le temps de discuter avec elle. Elle était mignonne, sympathique, drôle et entreprenante alors il se laissa aller avec elle pour enfin devenir un homme.
La situation ne s’améliora pas entre ses parents. Au contraire même parce qu’ils avaient carrément fini par faire chambre à part. C’est donc sans véritable surprise qu’ils divorcèrent peu avant les seize ans de Nathan. Il s’y attendait, pourtant il ne vécut pas très bien cette séparation. Heureusement pour lui, et paradoxalement à tout ça, sa copine était là pour le soutenir. En effet, cette petite nana avec qui il avait perdu sa virginité était devenue sa petite-amie. Une grande première pour lui qui réalisa ce que signifiait être amoureux. Il aimait cette fille, de tout son cœur et ne passait jamais une seule journée sans la voir. Elle lui permit d’affronter le divorce de ses parents en rendant son quotidien le plus agréable possible et en le soutenant dans cette épreuve. Son père finit par quitter la maison et Nathan resta vivre avec sa mère. A présent, il était l’homme de la maison, c’était à lui de veiller sur elle. Il avait réussi à se remettre dans ses études et il parvint même à obtenir son diplôme à la fin du lycée. Ayant toujours souhaité entrer dans la police, il se lança sans surprise dans cette voie. Tout semblait lui sourire. Pour une fois. Cependant, la roue tourne et parfois bien plus rapidement qu’on ne l’aurait voulu. Un jour après les cours, il décida de faire une surprise à sa copine en se rendait dans le petit café où elle travaillait. Il lui arrivait de temps en temps d’aller la voir pendant son service, mais il voulait profiter de ce jour en particulier pour aller la voir plus tôt que prévu puisque c’était le jour de l’anniversaire de leur rencontre. Il lui avait acheté un joli collier pour l’occasion. Lorsqu’il arriva sur place, l’un de ses collègues indiqua à Nathan qu’il pouvait la trouver à l’arrière parce qu’elle prenait sa pause. Elle y était bel et bien oui. Mais pas toute seule. Elle était avec son meilleur ami en train de s’inspecter les amygdales de très près. Nathan n’avait jamais apprécié le meilleur ami de la jeune fille, il avait toujours eu un mauvais pressentiment envers ce gars. On peut aisément dire qu’il était fondé, après tout. Evidemment, elle se confondit en excuses et se mit même à pleurer pour se faire pardonner. Nathan resta le visage fermé et ne prononça aucun mot. Le regard qu’il lui lança suffit à exprimer tout ce qu’il avait sur le cœur à ce moment là. Il tourna les talons et n’adressa plus jamais la parole à son ex-copine. Elle s’en sortit plus ou moins bien en ne récoltant que son indifférence mais on ne pouvait pas en dire autant du meilleur ami qui se retrouva quelques jours plus tard avec une côte fêlée et la mâchoire disloquée. Cette peine de cœur fut la première qu’il rencontra et se promit qu’elle serait la dernière.
Les années qui suivirent furent à peu près calmes. Il entra en école de police et se trouva un petit appartement que ses parents, même séparés, aidèrent à financer. Malheureusement, le karma s’acharna sur lui et sa famille. Il s’en souviendra de ce fameux 21 juin 2014. Non seulement sa mère était tombée subitement très malade, au point que les médecins ne pouvaient rien faire pour la sauver mais en plus de ça, elle lui avoua la terrible vérité entourant sa naissance. Elle tomba comme un couperet. Lui couper le souffle au passage. Il avait été adopté. La nouvelle fut difficile à accepter d’autant plus que sa mère n’allait pas bien du tout. Face à l’incapacité de son père à concevoir un enfant, ses parents s’étaient rabattus sur l’adoption. La sienne. Un choc ni plus ni moins, pour ce jeune homme qui avait toujours cru que ses parents étaient ceux qui lui avaient donné la vie. Il en resta littéralement sans voix pendant des jours, jusqu’à ce que celle qu’il avait toujours prise pour sa véritable mère ne ferme définitivement les yeux. Sa vie prenait une tournure qu’il ne contrôlait pas et il détestait ça. Comment avaient-ils pu lui cacher ça pendant tout ce temps ? Pourquoi attendre vingt-trois ans ? Il en voulait à son père de lui avoir caché quelque chose d’aussi important et les mois qui suivirent furent les pires de sa vie.
Le temps reprit son cours, il préféra se concentrer une bonne fois pour toute sur sa carrière en devenir et son avenir. Il devint officiellement un agent des forces de l’ordre et commença comme tout jeune flic en bas de l’échelle. Au départ, il s’occupait de la circulation, il distribuait des contraventions, il patrouillait la nuit avec un collègue… Mais pendant ses moments de pause, l’histoire de son adoption lui revenait en tête. Inlassablement. Et si ses parents biologiques étaient encore en vie ? Malgré tout, il était curieux de connaitre ses origines. Qui étaient-ils ? Que faisaient-ils ? Des tas de questions se bousculaient dans sa tête jour après jour. Il lui fallait des réponses parce qu’il en perdait le sommeil. Il profita de son statut de policier pour faire des recherches poussées dans les dossiers du commissariat et de la ville. Ses recherches furent laborieuses et complexes mais après des mois et des mois d’obstination et d’acharnement, il finit par trouver des noms. Celui de sa mère et celui… de sa sœur jumelle. Il n’y avait pas de trace de père, mais à la place, il avait une sœur. Une jumelle. Billie Wheeler. Il découvrit par la suite que contrairement à lui, elle n’avait pas été adoptée. Contrairement à lui, elle avait pu grandir avec leur mère. Pourquoi ? Pourquoi n’avait-elle pas été adoptée elle ? Pourquoi était-ce lui qu’on avait cédé à un couple d’inconnus ? Leur mère avait-elle préféré garder sa fille au lieu de son fils ? Cette nouvelle le ravagea d’autant plus et son ordinateur vola à travers la pièce ce jour-là. A cause d’elle, il avait eu une vie de merde avec un père alcoolique et la perte de sa mère adoptive. A cause de cette Billie qu’il se mit à haïr immédiatement sans la connaitre, il n’avait pas eu la chance de connaitre sa propre mère. Le sentiment d’injustice qui l’envahit à ce moment le rendit malade et fit naître en lui quelque chose qui l’animera pendant des années.
Ce sentiment de vengeance prit véritablement racine dans son esprit le jour où il aperçut par hasard cette fameuse Billie, heureuse, souriante, bien entourée. Depuis combien de temps n’avait-il pas vraiment souri lui ? Un jour qu’il passa par hasard devant l’appartement de sa sœur pour voir de ses yeux où elle vivait, il fut surpris de découvrir que l’un des appartements de cet immeuble était justement libre. Il se dit immédiatement que ce n’était pas une coïncidence, qu’il se devait de saisir cette chance qui s’offrait à lui ! Il ne pouvait pas rater cette occasion, pour une fois que le hasard était de son côté. Il fit les démarches nécessaires et en aout 2016, il devint officiellement le voisin de sa sœur jumelle. Sans qu’il ne comprenne réellement pourquoi, il ressentait ce besoin d’apprendre à la connaitre. Est-ce qu’ils avaient des points communs ? Avaient-ils les mêmes habitudes ? Les mêmes gouts ? C’était comme retrouver une partie de lui, même si son envie de se venger de sa vie parfaite subsistait toujours, tenace, dans un coin de sa tête. C’était complètement puéril de vouloir se venger de quelque chose qu’elle-même n’avait pas choisi. Il en avait conscience, mais c’était plus fort que lui, la douleur était trop vive. Il l’approcha la première fois, quelques jours après son emménagement, pour lui demander du sucre, sous prétexte qu’il n’en avait plus pour faire des crêpes. Crêpes qu’il ne ferait jamais. Il aurait pu lui demander de la farine que le résultat aurait été le même. Le but c’était d’entrer en contact avec elle, de nouer un lien. Il réitéra l’opération plusieurs fois par semaine, s’immisçant petit à petit dans la vie de sa sœur jumelle. Ils finirent même par sympathiser et il coucha avec Nora, la colocataire de Billie pour obtenir des informations supplémentaires, l’air de rien. Sur le papier, son plan était parfait et il commençait à se faire une petite place dans la vie de Mademoiselle Wheeler. Son jeu se mettait en place doucement, il avançait ses pions, plaça sa stratégie pour frapper le jour J là où ça ferait mal.
En septembre 2017, il fut promu au rang d’inspecteur de police. Finie la circulation, bonjour les enquêtes à résoudre ! Il se souviendra d’ailleurs longtemps de sa première affaire. Alors qu’il avait débarqué chez la principale suspecte pour l’interroger, celle-ci lui avait montré ses talents de piratage informatique pour prouver son innocence. Il en resta bouche bée. Sous ses airs de poupée Barbie, cette Roxanne était en fait une hackeuse super douée. Certes, ce n’était pas très légal de se dévoiler ainsi devant un flic, mais c’était assez éblouissant. Il ne perdit pas son contact et se permit même de lui demander son aide dans certains cas. Bon la blonde avait des conditions, évidemment, mais ils parvinrent à trouver un terrain d’entente. Elle l’aida sur plusieurs autres affaires et il se retrouva même à jouer son mec le temps d’une soirée. Pour ce qui était de Billie, les choses avaient changé au fil du temps. Il finissait par réellement apprécier la jeune femme et se prit d’affection pour elle. A tel point que le jour où elle débarqua chez lui pour lui annoncer son mariage prochain, il sauta de joie. Le bonheur de sa sœur lui faisait plaisir et il ne voyait plus l’intérêt de se venger. Il fut même invité à son mariage, il prit part aux festivités avec grand plaisir et fut même surpris de constater que l’un de ses potes, Tyler Hannigan un mec qu’il avait rencontré quand il avait 17 ans et avec qui il s’était lié d’amitié par la suite, était le cousin de Billie. Donc le sien aussi, forcément. Cependant, un problème résidait dans tout ça. Il avait certes renoué avec sa sœur, avait abandonné son idée de vengeance pour le bien de tous. Mais la jeune femme ignorait toujours la véritable relation qui les unissait. Il se devait de lui dire, il ne pouvait pas lui cacher éternellement qu’ils étaient jumeaux, depuis le temps qu’il était au courant. Mais cela restait un sujet assez délicat. Trouver le bon moment risquait d’être plus difficile que prévu. Le tout c’est de se lancer, n’est-ce pas ?