Je ne sais pas si c’est utile de raconter mon histoire en commençant par le début. Je veux dire, j’ai eu une enfance plutôt normale enfin de mon point de vu. C’est sûr que si j’avais grandi dans un pays défavorisé ou même juste dans une famille qui n’avait pas d’argent, j’aurai trouvé qu’une enfance comme la mienne était luxueuse. A vrai dire, ça a sûrement dû être le cas. En effet, mon père est très riche, c’est un businessman qui a gagné beaucoup d’argent dans le commerce du pétrole. Je n’ai donc jamais manqué de rien, j’avais de supers cadeaux, une super maison et une super maman. Ce qui m’a peut-être manqué était la présence de mon père. C’était moi l’homme de la maison, ma mère cédait à tous mes caprices, c’est sûrement pour ça que je suis devenu le jeune homme que je suis : colérique, qui veut l’attention sur lui, qui n’accepte pas les refus et qui a l’habitude de tout avoir. Je ne pense pas pour autant que je sois une mauvaise personne… Enfin, ça je ne sais pas trop… Il est difficile d’avoir un point de vu objectif sur soi-même après tout, non ? Je ne sais pas. Voilà comment je peux donner un rapide résumé de mon enfance. Ah, j’ai failli oublier de mentionner ma petite sœur qui est née trois ans après moi. Elle et moi avons toujours été proches durant notre enfance et adolescence. On passait tout notre temps ensemble et ont été vraiment infernaux… On en a fait voir de toutes les couleurs à notre chère mère ! Ah, qu’en j’y repense, c’était vraiment la belle époque. Les rires raisonnaient dans notre grande maison, on avait beau y vivre qu’à trois la plupart du temps, on avait parfois l’impression qu’on était des dizaines là-dedans tellement on riait, tellement on vivait quoi.
Le lycée, c’est comme si c’était hier. C’était une période d’exaltation pour moi, en plus d’être le chef de la maison quand mon père n’était pas là, j’étais le chef du lycée. J’étais quarterback alors toute l’attention était rivée sur moi, toutes les filles voulaient sortir avec moi et moi j’adorais ça. J’avais pleins d’amis aussi, enfin avec le recule je ne pense pas que je pouvais appeler ça réellement des amis, la preuve il n’en reste plus beaucoup aujourd’hui de cette époque-là. J’y ai d’autant plus affirmé mon sale caractère là-bas, tout m’était dû. Les profs étaient sympas parce que j’étais le roi du terrain. Une belle école m’attendait vu que j’allais avoir une bourse grâce au sport et que mon père était riche et connu dans le milieu des affaires. Moi, à l’époque, je ne pensais pas à tout ça, à ce que j’allais faire après le lycée, je pensais juste aux filles, au football, aux copains et à faire la fête. J’étais vraiment le cliché du gosse qui avait tout et qui ne s’en rendait même pas compte quand j’y pense. J’ai sûrement fait du mal à des gens qui m’aimaient comme à ma mère avec qui j’ai parfois été dur mais qui a toujours été là pour moi ou cette fille, Jamie. J’étais en dernière année, elle était plus jeune que moi. Je voulais juste faire le mec devant mes copains, coller à ma réputation de bad boy et me faire le plus de filles possibles. C’était peut-être stupide quand j’y repense aujourd’hui, mais je ne crois pas que je regrette. Bref, j’étais sortie avec cette fille pendant plusieurs mois, avec du recul, je sais qu’elle était amoureuse de moi, je crois même qu’elle m’avait donné sa virginité. Pour elle on sortait ensemble, pour moi c’était une fille que je voyais beaucoup mais j’en voyais d’autres aussi. Quand elle l’avait appris, elle avait arrêté de me parler et je n’avais plus fait attention à elle. J’avais pleins d’autres filles autour de moi et même si elle était plus ou moins une copine officielle à l’époque, elle ne représentait pas plus que les autres.
J’ai eu mon diplôme avec d’excellentes notes, il fallait croire que j’étais vraiment doué pour les cours. Je ne bossais pas beaucoup mais pourtant j’excellais. Grâce à l’argent de mon père, son nom, ma bourse et mes résultats, j’étais accepté à Harvard pour faire mon bachelor de médecine là-bas. Au revoir Phoenix et sa sécheresse, bonjour la côte Est. Je m’y suis bien plu là-bas, c’était l’université alors avec de nouveaux copains on continuait les conneries, je jouais encore au foot mais on bossait aussi, c’était quand même un sacré niveau. Je me suis mis à vraiment travailler pour avoir de bonnes notes. Ça n’était pas toujours facile, j’ai pété plusieurs fois des câbles, j’ai même cassé mon ordi en tapant dedans. Mais le travail avait payé et j’ai obtenu mon bachelor à Harvard en quatre ans. A 22 ans j’avais déjà bien avancé dans ma vie. Au lieu de continuer sur ma lancé, j’ai fait une année de césure. J’avais besoin de voir autre chose que des cahiers et des amphis. J’ai un peu voyagé quelques mois avec l’argent de mon père, avec des copains et parfois seul. Je suis allé en Europe, en Asie de l’Est et même en Australie. J’y ai fait la fête, j’y ai rencontré pleins de belles femmes et aussi de riches jet setters qui m’ont invité sur leurs bateaux, le rêve, et j’ai fêté mes 23 ans sur un yacht rempli de gens que je ne connaissais même pas.
Je me suis découvert une passion durant ces multiples voyages, celle du tatouage. J’avais rencontré un mec qui était tatoueur et qui faisait des festivals du tatouage où il marquait à vie des gens dans des chapiteaux et qui faisaient la queue pour avoir le dessin de leur rêve sur le corps. A force de le suivre dans ces aventures, j’ai fini par développer une passion pour cet art et à vouloir moi aussi m’y mettre. J’ai d’abord commencé en dessinant sur des bouts de papier, histoire de ne pas faire des navets sur le corps des gens. Il fallait dire que je m’en sortais plutôt bien avec des crayons, stylos et tout autres outils de dessin. J’ai commencé à tatouer avec mon ami qui a tout de suite trouvé que j’avais du talent et j’étais plutôt d’accord. Décidemment, tout ce que j’entreprenais était une réussite.
En avril 2012, je suis rentré à Phoenix pour fêter les 20 ans de ma sœur. Il fallait dire que ces mois à faire le tour du monde m’avaient éloigné de ma famille. J’avais donc décidé de rester à Phoenix jusqu’à la rentrée scolaire et de repartir à Harvard pour commencer mon master en médecine. Mais le destin en avait décidé autrement. J’ai rencontré une femme magnifique, Trish. Dès que je l’ai vu, j’a ressentis des choses que je n’avais jamais ressentis pour aucune femme. Elle était si belle et j’étais tombé sous son charme. Je l’avais invité à sortir et elle avait accepté. On est même sortis ensemble… J’étais vraiment heureux je crois, pour une fois je sentais vraiment ce que c’était d’être attaché à quelqu’un qui n’était pas son sang. Je l’invitais au resto, on allait même parfois au cinéma et surtout je ne pensais pas à d’autres femmes. Moi qui d’habitude ne pouvait m’empêcher d’aller voir ailleurs, je n’avais même pas besoin de m’en retenir, j’en n’avais juste pas envie. Ça devait être de l’amour, oui j’étais amoureux. Mais comme un retour de manivelle après tout ce que j’avais fait subir à d’autres femmes, j’ai été trompé, salis et ridiculisé. Trish ne m’aimait pas, elle était juste avec moi pour une question de facilité. Elle avait sûrement pleins de mecs quand elle était avec moi et n’avait sûrement pas réellement eu de sentiments pour moi. Je dois dire qu’après cet épisode j’étais déprimé. Il faut dire que j’avais renoncé à reprendre les études pour rester avec Trish au plus grand désespoir de mon père qui m’a foutu une sacré raclé pour ne pas m’être inscrit en master. Je n’avais donc plus rien, il était trop tard pour que je m’inscrive à la fac et la femme que j’aimais s’était foutue de moi… Depuis, je ne fais plus confiance aux femmes, je suis redevenu le Aaron d’avant, celui qui n’éprouve aucune attache et qui séduit seulement le temps d’une soirée.
Le
sept février deux-mille-treize ou
le jour où tout a basculé. Je roulais dans ma Bentley à fond, je me sentais libre. Je n’avais pas bu ou quoi, j’avais juste envie de foncer sur une petite route, de profiter de la vie. Ces derniers mois à ne rien faire de particulier à part traîner à Phoenix m’avaient engourdi. Les études me manquaient, le foot aussi et je ne pouvais plus voyager puisque mon père avait réduit drastiquement l’argent sur mes comptes puisque je n’étais pas allé étudier. Les seuls moyens de m’évader étaient de tatouer et de rouler à fond la caisse avec ma voiture de gosse de riche. Je crois que je me rendais pas compte que la vie ne tenait qu’à un fil. Tout m’était toujours tombé tout cuit dans la bouche, la vie était facile, tout ce que j’entreprenais je le réussissais. Mon impulsivité et ma colère face à cette année de perdue me poussaient à rouler toujours plus vite. J’écoutais du métal à fond et je passais ma douleur à travers ces virages. Mon sentiment d’être invincible me poussait à toujours plus, toujours plus vite, toujours plus dangereux. Mais il fallait bien que je m’y perde un moment. C’était le choc, un choc frontal. C’était comme si un moment tout s’arrêtait, la musique, la voiture, la vie. Je m’étais pris une voiture de pleins de fouet mais ça je ne le savais pas sur le coup.
Souvenir –
« Il a eu un accident, il a l’os de la jambe gauche complètement sortit. » Mes yeux s’ouvrent péniblement et se referment tout aussi vite. J’avance tout seul, je vois le plafond se défiler sous mes yeux. Tout est si lumineux, il y a beaucoup de bruit, des gens crient je crois, une femme me regarde et me dit que ça va aller. Mes oreilles sifflent et la lumière me fait mal à la tête et aux yeux. Je sens le lit sur le quel je suis avancer et ça me donne envie de vomir, je sens quelque chose dans ma gorge. Je soulève péniblement ma tête pour voir devant moi. C’est ma jambe ça ? Un ramassis de chair de sang et… un os qui en sort ? Qu’est-ce qui s’est passé, pourquoi je suis là ? Ma tête me fait atrocement mal mais cette douleur s’efface pour une autre encore plus forte. Mon corps brûle et je sens un goût de fer remonter dans ma gorge. Du sang sors de ma bouche et je souffre. « Il fait une hémorragie, amenez-le au bloc, vite ! » Mes yeux se ferment et je bascule dans le noir, je ne vois et n’entend plus rien, je suis parti.Je ne sais pas ce qui était le plus douloureux entre mon accident et la violence physique ou la violence psychologique du procès. En novembre 2013 je me retrouvais face à un juge, des jurés mais aussi celle dont j’avais assassiné la mère et qui n’était autre que Jamie. Les regards que les gens portaient sur moi et le dégoût de mes parents n’étaient rien face à la violence de celle que j’avais fait le plus souffrir. J’étais encore bien amoché de mon accident, j’avais des béquilles et un plâtre à la jambe gauche et une blessure à l’arcade. Mais ça tout le monde s’en foutait, j’avais tué quelqu’un, et Jamie la première. Je n’oublierai jamais le regard de cette fille à qui j’avais ôté sa maman quand elle manqua de m’étrangler. Je m’en suis bien sorti, un père riche ça aide. J’ai eu trois mois de prison ferme et cinq ans avec sursis sans oublier la dépense d’une bonne grosse somme de la poche de papa. C’était ça le prix à payer pour une vie il fallait croire, moi je n’en étais pas si sûr et je ne le suis toujours pas.
Ces mois en prison ont été plus ou moins bénéfiques. Je veux dire je n’y ai pas appris deux langues et je n’ai pas lu les grands classiques de la littérature américaine, mais j’ai pu faire un travail sur moi. Je me suis rendu compte qu’il fallait que j’arrête de me comporter comme l’enfant pourri gâté que j’étais, que je devais contrôler ma colère mais surtout et que je devais faire attention aux autres. J’avais aussi compris que la vie était fragile mais pour ça, je n’avais pas eu besoin d’attendre la prison. Il m’avait suffi de tuer quelqu’un et de frôler la mort. En revanche, ces mois entre quatre murs m’ont permis d’intérioriser ce que j’avais compris pour essayer de ne plus répéter les mêmes erreurs. Quand j’y repense, l’uniforme orange allait tellement bien à la réputation de bad boy que je m’étais faite au lycée. Après tout, je n’étais pas destiné à atterrir ici derrière ces barreaux ? C’était là que les gens arrivaient quand ils n’avaient pas conscience de la vie, quand ils ne pensaient qu’à eux. J’espérais que cette période me remettrait les idées en place, que je ne serai plus jamais le même homme fier, têtu et colérique. Mais les vieux démons ne partent pas comme ça…
Le soir de mon retour à la demeure familiale après ces trois mois de prison, mon père était là pour m’accueillir. Peut-être que s’il avait été présent quand j’étais plus jeune rien de tout cela ne serait arrivé. Enfin bref, ma mère et mon père m’accueillirent sans un mot et nous nous sommes retrouvés autour de la grande table de la cuisine. Ma petite sœur n’était pas là. Il parait qu’elle ne voulait plus me voir, qu’elle était partie faire ses études à l’étranger et qu’il ne fallait surtout pas que je la contacte, car à cause de moi elle serait devenue instable psychologiquement et ne voudrait plus jamais me voir. J’avoue que les paroles de mon père m’avaient fait un coup, ma petite sœur, celle qui avait toujours été là pour moi avait fini par me tourner le dos mais je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même. Ma mère quant-à-elle n’arrivait même pas à me regarder en face et se contentait de sangloter alors que mon père, avec son regard glacial n’arrêtait de me fixer. Il n’y aurait plus d’argent sur mon compte en plus tant que je ne me serai pas racheté aux yeux de mon père, voilà ce qu’il trouvait à me dire après ces trois mois en prison pour un homicide involontaire. A ce moment précis, j’ai pété un câble. Les promesses que je m’étais faites en prison étaient déjà envolés. Je m’étais levé et j’avais renversé la table et toute la vaisselle qui s’y trouvait dans un boucan qui à mes oreilles, était majestueux. Je n’ai pas pu supporter tout ça, j’avais besoin d’aide pas de rejet. Je les avais envoyés se faire foutre et je m’étais barré. C’était la dernière fois que je voyais mes parents avant plusieurs années, leur laissant un souvenir amer de leur enfant prodige.
J’ai pris l’argent qui me restait sur mon compte et je suis resté quatre années en Amérique Latine. J’avais besoin d’être seul, d’être loin de tout le bordel que j’avais créé. Je pensais parfois à Jamie et au fait que je voulais m’excuser auprès d’elle, même si ça ne lui rapporterait pas sa mère. Pour oublier, j’ai fait de l’humanitaire. J’ai aidé à construire des écoles, j’ai même créé une association pour que les familles aient accès à l’eau potable. J’utilisais aussi mon temps libre pour faire de la moto avec les jeunes du quartier mais également pour perfectionner mes capacités en tatouage. J’ai acquis de nouvelles méthodes là-bas, de nouvelles cultures qui se transmettaient à travers la peau. C’était magnifique. Cette expérience m’a fait d’autant plus grandir que le temps passé en prison. Malgré le bonheur que j’ai ressenti durant ce voyage loin de l’argent, des gens que je connaissais, de mon passé et de mes erreurs, il me manquait quelque chose. Je sentais qu’il fallait que je retourne à Phoenix. Déjà, pour renouer avec mes parents mais aussi pour peut-être revoir ma sœur. Je ne savais pas si elle était rentrée de son voyage pour ses études. Il fallait, et c’était devenu presque vital, que je vois aussi Jamie. Si j’étais parti c’était en parti parce que je ne savais pas quoi faire vis-à-vis d’elle, comment m’y prendre, comment m’excuser. Toutes ces problématiques devaient être résolues et je m’étais alors décidé de retour à Phoenix en avril 2018 pour reprendre ma vie là où je l’avais laissée.
Voilà quatre mois que je suis de retour dans ma ville natale et je n’ai toujours pas osé parler à Jamie. J’y pense tous les jours mais je ne trouve pas le courage. Sinon mes parents ont accepté de reprendre contact avec moi, surtout ma mère qui est heureuse de me revoir. Mon père quant-à-lui est froid et dit que je suis une honte pour la famille mais il me laisse me racheter à condition que je trouve un boulot et que je me paye un appartement avant fin de l’année. Dans le cas contraire, il me fout à la porte. J’avoue que suis resté calme quand il m’a dit ça, je suis content des efforts que j’ai fournis et du travail que j’ai réussi à faire sur moi-même. Quelques années plus tôt, j’aurai piqué une colère monstre s’il m’avait dit ça. Je vie paisiblement à Phoenix pour le moment, tout le monde a un peu oublié mon histoire il faut croire. Je cherche actuellement un emploi, j’aimerai bien être tatoueur ici. Les études de médecine c’est mort pour mort, tant pis, j’avais pourtant une belle vie qui s’était dessinée devant moi, j’avais tout. Il me reste maintenant à tout reconstruire et à essayer de devenir quelqu’un de plus ou moins bien.